On a souvent
souligné que les nouvelles technologies sont beaucoup moins menaçantes pour
l’environnement que les anciennes, qui étaient basées sur les ressources naturelles,
l’énergie et les mines, et terriblement polluantes. L’esprit du temps aussi a
changé, en raison de l’urgence créée par les bouleversements climatiques. Une
encyclopédie participative Ekopedia,
déjà en dix langues, tend à recenser et mettre en ligne les problématiques et
les solutions écologiques auxquelles nous devrions tous prêter attention. Les
communications par ordinateur, incluant la publicité, les informations, les
documents de travail, les courriels privés, et maintenant la généralisation électronique
des billets d'avion, factures, déclarations d’impôts, etc. tendent à réduire
l’utilisation du papier et contribuent à préserver des forêts. La publicité des
manufacturiers canadiens nous montre des images emblématiques d’usagers
d’ordinateur portable sur un ponton au bord d’un lac aux eaux pures. Et il
convient de souligner ce que les industries douces de l’environnement doivent
au numérique. On ne conçoit plus l’écologie sans l’imagerie scientifique
numérique, qu'il s'agisse de la détection des variations de l’ozone, des
relevés par satellite des densités de plancton dans les océans, des
modélisations, des simulations, des capteurs fins de pollution dans l’air, etc.
qui seraient impensables sans les ordinateurs et les logiciels sophistiqués auxquels
on recourt désormais quotidiennement. Nous usons d’algorithmes écologiques, par
exemple pour suivre l’évolution de la biodiversité et évaluer les impacts
conjugués des divers paramètres humains, biologiques, météorologiques. Ainsi,
la société Double Helix Tracking
Technologies a mis au point un appareil à séquencer l’ADN des végétaux, qui
lui permet de retracer l’origine des arbres qui sont exploités dans l’industrie
du bois. Non seulement chaque espèce d’arbre a-t-elle une ADN distincte, mais
les variantes d’origine géographique s’y déchiffrent comme dans les codes
postaux. Cela permet donc de repérer les bois venant de coupes forestières
illégales, qui représentent un arbre sur cinq de l’industrie forestière
mondiale. Un chiffre énorme de 30 des 150 milliards du chiffre d’affaire
annuel, contrôlé par le crime organisé, et pour l’écologie planétaire,
l’équivalent chaque année de la surface de l’Irlande en déforestation illégale.
Les technologies numériques, qui permettent cette détection infalsifiable, vont
devenir de plus en plus efficaces et bon marché. Non seulement elles sont
douces, mais elles nous aideront à protéger les écosystèmes fragiles de la
nature. À cet égard, le rapport traditionnellement conflictuel entre
technologie et nature s’est en partie inversé.
Mais peut-on parler
pour autant d’électronique verte? Certes, nous usons de thermostats pour mieux
contrôler nos usages énergétiques. Mais s’il est vrai que quinze ordinateurs
fonctionnant en même temps, ou que nous avons l’habitude de laisser ouverts,
créent autant de gaz à effet de serre qu’une voiture, comme le souligne la
publicité d’un logiciel qui prétend contribuer à sauver la planète. Nous allons
certes devoir changer nos habitudes laxistes en éteignant les ordinateurs
inactifs. Déjà Google a décidé de se mettre au vert et d'investir dans les
énergies renouvelables en soulignant qu'il était gros consommateur
d'électricité avec ses multiples serveurs géants." Les quantités d'énergie
que les ordinateurs consomment dans le monde sont énormes. Notre but est de les
réduire ", selon Nelson Mattos, vice-président de la recherche et
développement pour l'Europe chez Google.
Mais il y a bien
pire : selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) nous
produisons entre 20 et 50 millions de tonnes de déchets électroniques chaque
année dans le monde. Nos sites d’enfouissement s’emplissent désormais de
téléviseurs, ordinateurs, et téléphones cellulaires, batteries, etc. que nous
mettons au rebut, ce qui constitue une pollution électronique exponentielle et
encore plus menaçante lorsque ces déchets sont incinérés. On a pu estimer que
nous rejetons quelques 15 kg par personne et par an de déchets électroniques
toxiques, non biodégradables, notamment du plastique, du plomb, du cuivre et du
cadmium. Selon le Rapport de la convention de Bâle (Programme des Nations Unies
pour l’Environnement de 2011), le Ghana est devenu le champion africain du
recyclage des déchets électroniques, dont il a fait une véritable industrie,
assurant un salaire à quelque 30.000 personnes. Le Nigéria est le deuxième pays
importateur de déchets électroniques, notamment d’Europe, pour les retraiter
localement. Etonnant paradoxe de la fracture numérique! Mais il faut faire
aussi la part du recyclage des appareils électroniques remis sur le marché
africain. Ainsi, le rapport du PNUD souligne qu’à Lagos, on compte plus de cinq mille petites
entreprises, employant 15.000 ouvriers pour donner une nouvelle vie aux vieux
ordinateurs et téléphones cellulaires. Une question demeure entière :
celle des conditions de sécurité de retraitement et de recyclage, qui font
souvent défaut (Forum de Nairobi de 2012).
La corbeille de nos
écrans d’ordinateur ne reçoit que les fichiers dont nous voulons nous
débarrasser. Malheureusement, il y a des pays-poubelle pour les déchets
électroniques eux-mêmes. Un pays comme la Chine, devenu principal manufacturier
de ces équipements électroniques, a pris conscience du danger et propose aussi
de récupérer tous ces déchets, rapatriés des pays clients, pour les recycler,
notamment à Guyu, mais au prix de graves menaces pour la santé des ouvriers qui
sont soumis aux émanations de ces matières toxiques. L’usage de plus en plus
répandu de batteries, qui vont aussi être utilisées pour les voitures hybrides,
augmente le défi. Le droit international oblige désormais théoriquement chaque
pays à traiter ses déchets dangereux sur son propre territoire.
Nous allons devoir
donner une attention particulière à ces problèmes nouveaux, développer des
ordinateurs biodégradables – ils coûteraient actuellement des prix irréalistes
-, apprendre à contrôler la récupération des composants polluants comme nous
récupérons les papiers, le fer et le verre, apprendre à recycler ces
équipements, notamment à des fins éducatives et de développement dans les pays
démunis. « Consommer et jeter », l’axiome du capitalisme dit évolué,
est devenu à l’âge du numérique une lourde menace écologique. C’est donc aussi
un problème d’éducation et de gestion. Des organismes internationaux ont entrepris
de vastes campagnes de conscientisation, notamment Greenpeace. L’Europe, qui
produit déjà annuellement quelques six millions de tonnes de déchets
électroniques par an, a légiféré. Mais ses directives écologiques sont mal
respectées. L’Amérique du Nord est, à cet égard, encore plus en retard que
l’Europe. Au Canada, Duncan Bury, du Bureau national de la prévention de la
pollution, d’Environnement Canada soulignait en 2008 que « nous devons nous
attaquer à ce type de risque environnemental qui, bien entendu, n’existait pas
il y a dix ans ». Il ajoutait qu’ « au Canada, selon nos estimations, quelque
158 000 tonnes de déchets électroniques sont éliminées chaque année. Si rien n’est fait, nous verrons ce chiffre
grimper continuellement, compte tenu des durées de vie du matériel et de
l’arrivée constante de nouvelles applications, de plus grande ampleur ».
Plusieurs organismes de lutte contre la pollution électronique existent au
Canada, notamment Electronics Product Stewardship Canada (EPS Canada).
L’UNESCO a institué
en 2007 un prix consacré aux arts numériques traitant de l’écologie.
L’Observatoire Leonardo pour l’art, la technologie et la science (OLATS)
s’intéresse aux thèmes du climat et soutient la diffusion du travail d’artistes
numériques travaillant sur des thèmes écologiques. Admettons que ces artistes
sont encore peu nombreux. Les beaux paysages ne traitent pas la question. C’est
donc un champ nouveau de création artistique qu’il faut envisager. Mais si nous
doutions de notre migration corps et âme dans le virtuel, il faut rappeler que
le monde réel est devenu la poubelle du numérique. Et cela n’est pas prêt de
changer.
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